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MODIBO MAO MAKALOU, ECONOMISTE »Il faut moderniser nos économies pour bâtir une croissance forte »

((LÉCONOMISTE DU MALI)- Alors que le Fonds Monétaire International a révisé la semaine dernière à la baisse ses prévisions de croissance pour l’UEMOA, l’économiste Modibo Mao Makalou ancien sherpa de la Commission de l’Union africaine et du Nepad, et ex-conseiller aux affaires économiques et financières de la Présidence du Mali décrypte les fragilités structurelles et les dynamiques contrastées au sein de la région. Entre surendettement, transitions politiques et réformes sectorielles, il plaide pour un changement de paradigme vers une croissance inclusive et transformatrice. Entretien.

L’économiste du Mali: Que révèle selon vous la révision à la baisse des prévisions de croissance de l’UEMOA par le FMI ?


M M M : Les prévisions de croissance économiques sont, par nature, aléatoires. Mais cette révision reflète surtout les difficultés des deux plus grandes économies de l’Union, qui représentent à elles seules 50 % du PIB : le Sénégal et la Côte d’Ivoire.


Le Sénégal affiche un déficit budgétaire de 14 % du PIB, bien au-delà de la norme communautaire de 3 %, et une dette publique qui a bondi de 119 % à 139 % du PIB. Cette situation limite considérablement les marges de manœuvre budgétaires, obligeant le pays à chercher de nouvelles sources de revenus hors hydrocarbures.
En Côte d’Ivoire, l’incertitude politique liée aux élections présidentielles de ce week-end crée un climat d’attentisme chez les investisseurs. À cela s’ajoutent les crises multidimensionnelles qui affectent les 3 pays membres de la Confédération l’Alliance des Etats du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger), aggravant la vulnérabilité de la sous-région.


L’économiste du Mali: Comment interprétez-vous l’écart entre les estimations du FMI (5,9 %) et celles de la Banque mondiale (6,1 %) ?


M.M.M : L’UEMOA reste l’une des zones d’intégration régionale les plus dynamiques du continent africain avec un taux de croissance moyen autour de 6 %, hors Afrique de l’Est. Mais les incertitudes budgétaires et géopolitiques pèsent sur les perspectives économiques et financières. Je reste cependant optimiste : un rebond est possible dès le début de l’année prochaine.


L’économiste du Mali: Le Bénin affiche une croissance revue à la hausse (7 %). Quels leviers expliquent cette performance ?


M.M.M : Le Bénin est un modèle phare de gouvernance économique. Il a intégré le groupe des pays à revenu intermédiaire et accède aux marchés internationaux de capitaux avec une stratégie d’endettement prudente. La modernisation économique, notamment dans le secteur du coton et la création de zones industrielles, en fait un acteur clé de la transformation du coton en Afrique de l’Ouest. De même, les innovations technologiques adoptées par le Bénin pour accélérer la dématérialisation accentuent la croissance économique.


L’économiste du Mali: Le Sénégal passe de 8,4 % à 6 %. Est-ce un ralentissement ou un réajustement ?


M.M.M : C’est une phase de transition. Le pays passe du Plan Sénégal Émergent à la Vision 2050. Les audits en cours ralentissent temporairement l’activité, mais ils sont nécessaires pour asseoir une gouvernance plus rigoureuse. C’est ce décalage qui a un peu joué sur le taux de croissance de l’économie sénégalaise. Mais je pense que ce sera bénéfique, car à moyen et long terme, cela permettra au Sénégal d’aller vers une gouvernance économique et financière plus exigeante.


L’économiste du Mali: Le Mali et le Burkina Faso sont en bas du tableau. Pourquoi ?


M.M.M : L’insécurité et les réformes dans le secteur aurifère expliquent cette situation. Ces deux pays, grands producteurs d’or, traversent une phase de transition réglementaire qui perturbe la chaîne de valeur. La transformation locale de l’or reste très faible, alors qu’elle représente environ 80 % des exportations. C’est ce qui explique la faiblesse relative de la croissance dans ces économies, malgré le fait que le prix de l’or ait atteint des sommets historiques. Le Niger, en revanche, bénéficie d’un effet de levier grâce à sa production pétrolière et à la mise en service d’une seconde raffinerie de pétrole. Ce qui est une excellente chose.


L’économiste du Mali: La stabilité du taux de croissance en Guinée-Bissau (5,1 %) est-elle un signe de résilience ou de stagnation ?


M.M.M : Il s’agit plutôt d’un effet d’attente. Vous savez qu’il y a des élections qui doivent se tenir. Ce processus est vraiment très complexe et aléatoire. Je pense que c’est ce qui freine la croissance économique, car les investissements ne suivent généralement pas lorsqu’il y a de l’instabilité politique.


L’économiste du Mali: Peut-on parler d’un essoufflement du modèle de croissance de l’UEMOA ?


M.M.M : Non je ne pense pas, mais il faut changer de paradigme. L’UEMOA doit cesser de se contenter d’exporter des matières premières. Il faut renforcer les facteurs de production, créer de la valeur ajoutée localement, et générer des emplois décents et durables. La croissance économique qui est actuellement tirée par la demande intérieure, les services, les bâtiments et travaux publics et l’agriculture doit être inclusive, durable et équitable, à l’intérieur des pays comme entre eux au sein de l’UEMOA.


L’économiste du Mali: Le franc CFA et la politique monétaire commune influencent-ils ces dynamiques ?


M.M.M : Le franc CFA est associé à l’un des taux de croissance les plus élevés du continent et une inflation bien maîtrisée. Le problème n’est pas celui de la monnaie, puisqu’il il existe 40 monnaies en Afrique mais l’absence de transformation structurelle, l’Afrique constituant 18% de la population mondiale mais seulement 3% du commerce mondial. Il faut moderniser nos économies pour bâtir une croissance forte, résiliente et inclusive en réduisant les coûts des facteurs de production.


L’économiste du Mali: Cette révision pourrait-elle affecter la confiance des bailleurs ou des investisseurs ?


M.M.M : Non. Le ralentissement est mondial. Il existe des causes rationnelles à cette baisse des prévisions, mais elles sont surmontables. À condition de poursuivre les réformes et d’adopter des solutions adaptées, nos économies peuvent rebondir très rapidement dans un horizon proche.
Propos recueillis par
O.M

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